Vers un dépistage du cancer du sein dès 40 ans aux États-Unis ?
En France, le dépistage organisé du cancer du sein est recommandé à partir de 50 ans, un âge où le risque de développer un cancer du sein est le plus grand. Jusqu’à présent, c’était l’âge retenu par la plupart des pays qui le proposent. Mais les États-Unis discutent d’autres préconisations à ce sujet.
L’organisme américain U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) s’est positionné en mai 2023 en faveur d’un dépistage du cancer du sein tous les 2 ans pour les femmes à partir de 40 ans au lieu de 50. Ces nouvelles recommandations sont soumises à une phase de débat public. Néanmoins, l’hypothèse de leur adoption fait questionner leur transposition à d’autres pays comme la France. Sur quels arguments reposent cette reconsidération importante de l’âge de dépistage ? C’est ce que nous allons tâcher de vous expliquer.
Le constat : le nombre de cancers augmente chez les femmes de moins de 50 ans aux Etats-Unis
Aux USA, le cancer du sein est le 2e plus meurtrier chez les femmes et la 2e cause de décès par cancer.
La réflexion sur le sujet de l’âge de dépistage du cancer du sein a commencé par un constat : le nombre de cancers du sein augmente chez les femmes entre 40 et 50 ans.
Le pourcentage de cancers du sein survenus chez les femmes dans la décennie de la quarantaine s’est accentué depuis les années 2000. Et cette tendance s’est confirmée puisque l’incidence a augmenté de 2 % par an entre 2015 et 2019.
Jusqu’à présent, les États-Unis proposent un dépistage systématique tous les 2 ans pour les femmes de 50 à 74 ans. Les femmes âgées de 40 à 49 ans peuvent décider, conjointement avec leur médecin, de se faire dépister ou non selon leurs facteurs de risque et leur souhait.
Les préconisations de l’USPSTF
La méthode d’analyse
L’U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) est un groupe de travail américain dédié à la santé publique et à la prévention. Il défend l’idée d’avancer l’âge de dépistage de 10 ans par rapport aux recommandations actuelles.
Selon cet organisme, cette décision permettrait de sauver 19% de vies supplémentaires.
L’USPSTF s’est basé sur une revue de la littérature des différentes stratégies de dépistage et leur efficacité. Pour cela, ils ont sélectionné et analysé les études les plus pertinentes, avec les meilleurs critères de fiabilité et de conduite d’étude.
Les conclusions du travail
Les conclusions de l’USPSTF portent sur plusieurs aspects :
- L’évolution du nombre de cancers du sein chez les personnes de moins de 50 ans et les nouvelles connaissances scientifiques ont permis d’élargir la recommandation de l’USPSTF et d’encourager toutes les femmes à se faire dépister dès la quarantaine avec 19% de vies supplémentaires qui pourraient être sauvées.
- La fréquence de dépistage doit être maintenue à un rythme biennal (tous les 2 ans).
- Les femmes noires ont un risque de 40 % plus élevé que les femmes blanches de mourir d’un cancer du sein. Et ces femmes sont plus souvent atteintes d’un cancer agressif à un âge jeune.
- Les femmes avec des seins denses présentent un risque plus élevé de développer un cancer du sein.
À partir de ces constats, des questions supplémentaire se posent :
- Y a-t-il des recommandations particulières en fonction de l’origine ethnique si les femmes noires sont à risque plus élevé ?
- La mammographie reste-t-elle l’examen le plus adapté pour les femmes avec les seins denses ?
- Faut-il également allonger l’âge du dépistage au-delà de 75 ans ?
Des recommandations qui ne font pas l’unanimité
Aux États-Unis, l’USPSTF n’est pas le seul organisme d’autorité sur la question des cancers.
L’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG), l’American College of Radiology (ACR), l’American Cancer Society (ACS), le National Comprehensive Cancer Care Network sont également considérés comme ayant un rôle d’autorité sur le cancer du sein.
Les groupes d’experts ne sont pas tous d’accord sur l’ensemble des recommandations avancées2. Ainsi, l’American Cancer Society et l’American college of radiology préconisent une périodicité annuelle du dépistage.
Le tableau ci-dessous, tiré d’une étude de janvier 2022 (l’USPSTF n’avait pas encore publié ses recommandations), illustre les divergences selon les organisations professionnelles et gouvernementales américaines.
Table 1.
Mammography breast cancer screening recommendation for average risk women by professional societies and organizations.
Organization | Age to start | Age to stop | Interval |
ACOG | 40 | Until age 75, then shared decision making | Annual or biennial |
ACR/SBI | 40 | <5-7-year life expectancy | Annual |
ACS | 40: qualified recommendation
45: strong recommendation |
10-year life expectancy | ages 40-54: Annual
ages 55+: Biennial or annual |
NCCN | 40 | 10-year life expectancy | Annual |
USPSTF | 40-49: individual decision | Insufficient evidence to assess for ages 75+ | Biennial |
50: Recommended |
Abbreviations: ACOG, American College of Obstetricians and Gynecologists; ACR, American College of Radiology; ACS, American Cancer Society; NCCN, National Comprehensive Cancer Care Network; SBI, Society of Breast Imaging; USPSTF, US Preventative Services Task Force.
Ces recommandations pourraient-elles s’appliquer en France ?
Quelle est la situation en France ?
En France, le dépistage organisé est proposé tous les deux ans pour les femmes âgées de 50 à 74 ans, sans facteur de risque particulier ni symptôme évident. Elles reçoivent par courrier une invitation à se faire dépister.
Les femmes ayant un risque identifié de cancer du sein peuvent bénéficier d’un suivi spécifique adapté à leur situation individuelle. La HAS (Haute Autorité de Santé) a établi une liste exhaustive de situations nécessitant un dépistage spécifique.
En 2013, une note de cadrage de l’HAS abordait le sujet. Les travaux d’analyse sur une éventuelle extension du dépistage organisé chez les femmes âgées de 40 à 49 n’avaient pas conduit à valider cette décision. L’argument principal était qu’un dépistage avancé à cette tranche d’âge montrait un bénéfice faible du dépistage systématique en termes de mortalité spécifique évitée.
D’autre part, les risques du dépistage étaient pris en compte, en particulier le risque de faux positifs qui entraînent la réalisation d’examens complémentaires finalement inutiles et sources d’inquiétudes.
Pourquoi est-ce que la décision d’un changement de recommandation est importante ?
Comme aux États-Unis, la communauté médicale française est divisée sur la question de l’avancée de l’âge du dépistage du cancer du sein à 40 ans chez les femmes sans facteurs de risque et sans symptômes.
Certains avancent que ce serait bénéfique pour réduire la mortalité de ce cancer. D’autres y voient un risque accru d’effets délétères et pas réellement d’impact sur la mortalité.
Dans une note de cadrage publiée en 2013, la HAS disait : “En 2004, l’ANAES a évalué l’efficacité du dépistage, les effets délétères et l’intérêt économique d’une extension du programme de dépistage organisé du cancer du sein aux femmes âgées de 40 à 49 ans. L’efficacité sur la mortalité spécifique n’était pas prouvée par des études de bonne qualité méthodologique et de puissance satisfaisante dans cette tranche d’âge. De plus, si elle existe, la réduction de la mortalité spécifique était inférieure à celle observée chez les femmes de plus de 50 ans. Les effets délétères, eux, seraient majorés (sans quantification disponible de cette augmentation du risque) et étaient documentés par des études de faible niveau de preuve. Enfin, le rapport coût-efficacité était supérieur à celui des classes d’âge plus élevé sans permettre de trancher sur l’intérêt économique collectif de l’extension du programme aux femmes âgées de 40 à 49 ans”
L’avancée de l’âge de dépistage pour un cancer n’est pas anodine. Elle implique qu’il y ait réellement un intérêt à modifier les critères du dépistage. D’autre part, il faut évidemment qu’il y ait plus de bénéfices que de risques à pratiquer l’examen de référence.
Il est impératif de déterminer s’il existe des risques plus importants de surdiagnostics, de faux positifs ou encore de danger accru par rapport aux radiations liées aux mammographies. Sur ce dernier point, il faut savoir que la technologie de mammographie numérique moderne utilise des doses de rayonnement bien plus faibles qu’auparavant.
Quelles implications d’une modification des recommandations ?
L’avancée de l’âge du dépistage du cancer du sein entraînerait des changements considérables dans l’organisation pratique :
- augmentation du nombre de femmes invitées à se faire dépister ;
- besoins de moyens techniques (appareils de mammographie performants) et humains (manipulateurs radio et médecins radiologues) supplémentaires ;
- logistique d’envoi des invitations, coordination et surveillance épidémiologique amplifiées.
Les constats épidémiologiques peuvent influencer les recommandations en matière de dépistage. Lorsqu’une augmentation de nombre de cas d’une maladie est constatée dans une tranche d’âge, il est nécessaire de s’interroger. Notamment de chercher à comprendre les causes de cette évolution, mais aussi de voir quelles mesures doivent être adoptées.
À travers ce sujet, on remarque bien qu’il ne s’agit pas de décisions hâtives ni arbitraires. Au contraire, l’exemple du dépistage du cancer du sein illustre bien la complexité d’un changement de recommandations et toutes les conséquences qui en découlent. Mais il faut d’abord voir quelle réaction va inspirer cette proposition de l’USPSTF si elle est pleinement validée outre-Atlantique.